Page 76 - Un bout de crayon - Francis Leclerc
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Le troisième témoignage est celui de François Couty dont nous
            avons déjà parlé au moment de l’attaque russe. C’était un soldat
            engagé volontaire en 1938. J’ai été en contact avec son épouse par
            l’intermédiaire du site stalag_PO parce que les itinéraires de nos deux
            prisonniers étaient proches. Madame Couty m’a écrit une longue lettre
            le 31 juillet 2010 me livrant le témoignage de son mari à Tambov.
            En voici l’extrait le plus intense :

            « Pour le travail,  mon mari fut affecté au début dans une carrière,
            parfois pour couper du bois. Les moins chanceux travaillaient dans
            un canal, et parmi ces derniers très peu en sont sortis vivants, victimes
            du froid intense et de l’humidité. Les cadavres remontaient tous les
            jours et c’est ce qui fut le plus
            dur à mon mari et ses copains :
            dévêtir les malheureux pour
            que les Russes récupèrent
            leurs vêtements, mettre les
            corps en tas en attendant que
            la remorque vienne les prendre
            pour les conduire dans la
            fosse commune dans la forêt
            de Tambov. On imagine ce que
            l’on peut ressentir : jeter le
            corps d’un ami, d’un copain,
            un pauvre squelette tout nu
            dans une remorque pour aller
            le déverser dans une fosse. Je
            n’ai entendu ce récit qu’une
            seule fois, mon mari s’est
            effondré. Il avait récupéré
            de ses copains mourants, des
            adresses pour prévenir leur
            famille, il m’a dit un jour :
            Je ne pourrai jamais, je suis incapable de leur dire. Je lui ai promis
            de le faire à sa place, essayé de trouver les mots qui apprendraient
            parce qu’il le fallait comme c’était difficile...


            J’ai pleuré comme une gamine en préparant le petit paquet à adres-
            ser à la fiancée de Francis Garnier, c’était un petit portefeuille qui



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