Page 71 - Un bout de crayon - Francis Leclerc
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Français se retrouvent après des parcours opposés et vont s’épauler,
            les plus anciens aidant les nouveaux arrivés. Les conditions de vie
            sont inhumaines, avec une situation sanitaire déplorable, des corvées
            dans le froid. Beaucoup de « Malgré-nous » et de prisonniers n’y
            survécurent pas. Sur 250 Français, 125 moururent à Tambov.
            Je ne vais pas raconter la vie dans ce camp qui a fait l’objet de plusieurs
            livres. Je vais me contenter de rapporter trois témoignages inédits
            parce qu’ils m’ont été adressés personnellement par deux « Malgré-
            nous » Alsaciens, et l’épouse d’un prisonnier « de 40 ».


            Le premier est celui de Joseph Freymann, un « Malgré-nous » enrô-
            lé contre son gré à 17 ans dans l’armée allemande et engagé sur le
            front russe. Il a réussi à se rendre aux Russes en juillet 1944. Il était à
            Tambov depuis 3 mois à l’arrivée des prisonniers français le 2 janvier
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            1945  . Voici ce qu’il m’écrit le 5 juin 2010 :
            « Je l’ai bien reconnu (votre père) sur les deux photos que vous m’avez
            jointes à votre lettre, c’est bien lui que j’ai côtoyé à Tambov.
            Je pense que je l’ai connu parce que j’étais « nouvelliste » c’est-à-dire
            que j’avais à charge quotidienne, avec 3 autres détenus, de faire part
            des nouvelles du jour dans un secteur de baraques, à nos codétenus.
            À ce titre je visitais journellement une dizaine de baraques, qui conte-
            naient chacune entre 100 et 400 occupants (à peu près).
            Je ne me rappelle pas la date d’arrivée de ces prisonniers français
            « libérés » par l’Armée rouge, mais me reste nos sentiments à la vue
            de leur arrivée dans notre camp, que nous nommions avec un espoir
            souvent fluctuant le camp des Français. La venue de ces soldats fran-
            çais qui n’avaient pas combattu dans l’armée allemande nous aidait
            à croire un peu plus que les Russes rassemblaient les ressortissants
            de la France ; vu les mois qui passaient nous avions plus de mal à
            nous convaincre que c’était bien pour nous renvoyer chez nous rapi-
            dement. L’arrivée des poilus ex-prisonniers des Allemands nous a
            aidés à garder un peu mieux le moral.
            Par contre, de voir ces hommes traités comme nous, après qu’ils aient
            supporté pendant quatre ans les camps de prisonniers allemands, nous
            a profondément choqués et nous a fait profondément les plaindre :
            leur libération par les Russes (= alliés !) leur a imposé des conditions



            3  Je raconte en seconde partie les circonstances de notre rencontre.


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