Page 114 - Un bout de crayon - Francis Leclerc
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Joseph était l’ami de Francis, Gustave était son père pour qui Joseph
avait confié un message à Francis supposé rentrer en France bien
avant lui.
J’aurai par la suite la chance inouïe de recevoir de longues lettres
manuscrites de Joseph où il me décrit son rôle dans le camp et surtout
ses souvenirs de Francis car il en a. Il me rendra même une lettre de
mon père reçue peu de temps après leur retour ; trop c’est trop.
Et en plus cela confirme que ces adresses ont été notées au départ de
Tambov pour Odessa le 15 mai 1945 dans l’émotion des adieux de
ceux qui restent à ceux qui partent, les uns et les autres ne sachant pas
s’ils se reverront et si ces messages atteindront leur but.
À cet instant, je me dis que j’ai trouvé ce que je cherchais confusé-
ment. Découvrir l’existence d’un ami de mon père toujours en vie,
dans la période la plus dangereuse de sa vie à Tambov, recevoir de
lui des lettres manuscrites dont chacune est en elle-même déjà une
archive à valeur historique, un trésor inespéré, une apparition. D’ores
et déjà et si j’arrête là, ma quête est aboutie et réussie.
Le souvenir que cet homme garde de mon père fait qu’il existe encore
un peu. Cet indice au dos d’une photo, ce griffonnage à peine visible
qui m’a amené à lui, il était dans le tiroir depuis soixante-cinq ans,
à ma portée. Avec plus de curiosité, j’aurais pu atteindre le même
résultat depuis plusieurs dizaines d’années et recueillir ainsi des infor-
mations précises, nouer plus de contacts avec plus de témoins vivants.
Il ne faut pas trop tarder à rechercher car les petites lumières dans la
nuit s’estompent puis s’éteignent l’une après l’autre.
Cette année je poursuis mes échanges avec le site stalag_PO. J’envoie
des listes de prisonniers que j’avais à ma disposition au dos des photos
sans pouvoir préciser à quelle période elles se rattachent. Mais le seul
fait qu’elles soient écrites au crayon oriente déjà vers la captivité
russe. Ainsi sur une liste on note Pierre Durozoi présent à Kuhlen
et René Jeannot. Ce dernier m’est encore inconnu, mais en 2019
Egidijus rencontre une femme âgée des environs de Kuliai (Kuhlen),
propriétaire d’une ferme à Lobart-Nausseden. Elle se souvient de la
guerre, de certains prisonniers. Elle gardait même une photo de l’un
d’entre eux, René Jeannot qu’elle confie à mon ami souhaitant savoir
ce qu’il est devenu.
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