Page 86 - Un bout de crayon - Francis Leclerc
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Dans l’agenda de Marie-Madeleine, on voit en page de garde :
Horaires des trains de prisonniers à Caen : 9 h 54, 12 h 40, 13 h 33,
16 h, 21 h, 21 h 55.
Les deux amis vont maintenant se quitter, ils se promettent de s’écrire
et font le projet de se revoir. Après une nuit dans un centre d’héberge-
ment, il ne lambine pas à Paris : juste le temps de poster les missives
promises à Tambov et il file gare Saint-Lazare prendre un train pour
Caen. Un train avec des fauteuils et des toilettes avec du papier, ah le
papier, luxe suprême ! La grande classe même en seconde.
Francis descend à Argences : les trains de prisonniers s’arrêtaient à
toutes les gares déclarées par chacun à la montée pour leur éviter les
correspondances. Il arrive à pied. La maison est en face quand on
vient de la gare : on imagine son émotion devant ce qui reste de « sa
chère maison », commentaire écrit au dos de cette photo emmenée en
captivité. Sa chère maison n’est plus, elle est entièrement détruite. Il
est sinistré total comme beaucoup d’habitants de cette plaine de Caen
où les gros bourgs sont écrasés de bombes. Les Anglo-américains en
effet pour gêner la progression des Allemands détruisaient les voies
de communication et les bourgs avec beaucoup de victimes civiles
(collatérales comme on dit maintenant).
Affolé, il rejoint le centre du bourg et reste immobile, figé devant son
église réduite à gravats. Repéré, puis reconnu, il apprend vite que sa
mère et son épouse sont réfugiées à Quétiéville à 10 kilomètres ; on lui
propose de l’emmener : il accepte et repart aussitôt, pour les derniers
kilomètres des quelques cinq mille déjà parcourus...
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