Page 39 - Un bout de crayon - Francis Leclerc
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Nicole


            Fin janvier 1941, alors qu’il est encore à la carrière de pierres de
            Dort-Liewern, arrive une carte postale du type des cartes officielles
            de la République française. L’adresse est parfaitement lisible. Sur le
            côté gauche il voit : « Absender : H. Songis rue de la Gare Argences
            (Calvados). Henri est son beau-frère, pourquoi lui écrit-il ? Que se
            passe-t-il ? Peut-être a-t-il eu un instant d’inquiétude ?
            Il retourne la carte :


               « Argences, 23-1-41
               Nous avons le plaisir de vous faire part de la naissance de votre
               nièce Nicole, le 16 janvier. Ayant été trop impatiente de connaître
               notre monde enchanteur, elle est d’un format plutôt réduit. Elle se
               porte quand même très bien ainsi que Jeanne. Elle attend impa-
               tiemment le retour de son parrain ; nous espérons que vous ne
               la laisserez pas trop languir. Nous pensons toujours bien à vous.
               Bons baisers de tous : signé H. Songis, Jeanne. »

            Il apprend qu’il a une nièce, Nicole, et qu’il en est le parrain ! L’écriture
            est fine, appliquée, avec les pleins et les déliés comme à l’école avec
            la plume trempée dans un encrier en porcelaine.
            Trouvant ce texte magnifique, un petit bijou, je le scanne et l’envoie à
            son fils Bernard, mon cousin, qui découvre ce document inconnu, vieux
            de 79 ans, prose dont il reconnaît l’humour : il me fait part de son éton-
            nement, se demandant comment cette carte a pu nous parvenir, Francis
            l’ayant reçue en début de captivité. Il n’a pu la renvoyer par courrier ?
            Cette question est pertinente et je n’y avais pas pensé : en effet il n’avait
            sur lui qu’une pochette de photos gondolées et deux carnets. Cette
            carte postale était plate, en excellent état, ce qui suppose qu’il devait
            avoir un autre porte-documents plus grand et protecteur. Regardant
            tous ses objets je ne tardais pas à trouver : l’un des carnets mesure 10
            x 16 centimètres avec une couverture cartonnée rigide. La carte elle
            mesure 9 x 14 centimètres. C’est là qu’elle a dû le suivre partout à
            partir de cette date. Or la place était restreinte, ce qui suppose que fort
            peu de documents ont ainsi fait tout le voyage. Il a dû être contraint
            de faire des choix difficiles et de ne garder que les plus importants à
            ses yeux. Celui-ci en était, ainsi que sa liste à jour de toutes ses étapes
            et le dessin dédicacé de René.



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