Page 130 - Un bout de crayon - Francis Leclerc
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Je suis très heureux que la France ait fait cette démarche en recon-
naissant la valeur de ses recherches. Nous continuons dans ce paysage
magnifique de marais en bordure du golfe de Kursiu ; nous sommes
installés sur une terrasse de restaurant appartenant à un de ses amis.
Au loin, nous apercevons les dunes de la presqu’île de Courlande. À
Dreverna nous visitons une petite jetée avec un bateau viking, mais
aussi une embarcation traditionnelle à fond plat pour emprunter les
chenaux en eau douce des marais.
Ma photo avec la tombe et les deux gerbes turlupine Egidijus qui a
déjà sa petite idée et il nous emmène dans un vallon perdu où se trouve
un circuit de karting ! Avec à proximité un cimetière à peine visible
dont il pense reconnaître les piliers d’entrée.
Je lui fais observer que les chapiteaux ont les pans orientés différem-
ment. Effectivement, fausse piste et là nous voyons notre Egidijus
consterné et muet pendant au moins trente minutes. Il va falloir cher-
cher ailleurs.
Nous sommes l’après-midi, il est temps de retourner vers Klaipeda où
son moral remontera au cours d’un bon repas. Nous le quittons pour
un long périple vers l’Estonie et ce ne sera qu’après notre retour en
France que nous trouverons ou plutôt qu’il trouvera la provenance
de la photo avec les deux gerbes. C’est une découverte plutôt stupé-
fiante, puisqu’il parvient à prouver par comparaison avec les clichés
contemporains qu’il s’agit de la tombe de Jean Ratel et de celle d’une
Polonaise. Par un hasard extraordinaire, Egidijus avait découvert la
tombe d’un prisonnier dont j’avais la photo dans mes documents, la
photo prise le jour de la cérémonie où se sont rendus plusieurs prison-
niers des fermes voisines dont mon père bien entendu.
Effectivement la comparaison entre les photos et les circonstances est
cohérente. J’ai déjà exposé la tragédie de Jean Ratel : les patrons ont
été enterrés à part et Jean Ratel à côté de l’employée polonaise d’où
la présence des deux gerbes ! Par ailleurs certains détails viennent
comme autant de preuves. Les deux arbres petits devenant grands, les
positions relatives des sépultures entre elles et dans l’axe du portillon.
Et enfin grâce à une assez bonne netteté de l’image le grossissement
découvre une croix gammée sur la gerbe de Jean Ratel. Ce qu’il
aurait sans doute refusé de son vivant. Je ne l’avais pas vue. En effet
la tradition militaire impose le dépôt d’une gerbe sur la tombe d’un
soldat quel qu’il soit, ami ou ennemi, ce qui a été fait.
Enfin les croix noires visibles sur le cliché ont été confirmées par
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